Des sept pays qui composent l'Amérique centrale, le Guatemala est assurément celui qui garde à la fois les plus nombreux et prestigieux témoignages du monde préhispanique, principalement maya, en plus d'un patrimoine historique rappelant le monde colonial. Pays divers, surprenant, à la population plurielle et à l'histoire trouble, le Guatemala a souvent les faveurs des voyageurs en Amérique centrale, qui gardent pour ce pays une tendresse particulière.
À parcourir ses routes parfois cahoteuses, d'où l'on aperçoit au cœur de paysages majestueux des petites maisons de parpaings aux toits de tôle ondulée, qui voyage au Guatemala peut s'étonner de tant de pauvreté dans un pays à la nature si profuse et dont le territoire fut celui de puissantes royautés mayas. C'est que le Guatemala porte sur son territoire et dans sa population toute une mémoire de tensions et de luttes, difficile à percevoir de prime abord, où se mêlent fortes rémanences pré-hispaniques et stigmates de la Conquête espagnole, jusqu'à aujourd'hui.
C'est surtout dans l'ouest du Guatemala, dans les hautes terres, que bat le coeur indigène du pays, là donc que sont plus aisément observables cet héritage maya. Les organisations communautaires indigènes, qu'elles soient artisanales, touristiques ou politiques, sont une réalité vivante et capitale du Guatemala et probablement ce que le pays a de plus précieux pour son avenir, à l'encontre du mépris raciste systémique des classes moyennes et hautes de la société.
Permanences de la culture indigène maya
A San Andrés Xecul (département de Totonicapán), se trouve l'église la plus célèbre du pays, en raison de sa façade bariolée à dominante jaune, illustration criante et dans un style qui rappelle l'« art naïf », du syncrétisme entre catholicisme et cosmogonie maya. Les anges et figures bibliques s'y mêlent en effet à des dieux jumeaux et aux jaguars. Sur les hauteurs de cette petite ville du département de Quetzaltenango, on trouve aussi un autel maya, attestant la permanence de ces cultes malgré un christianisme qui a tenté de réprimer ce paganisme...
Le Guatemala et la culture maya
Les cultures précolombiennes des huates terres du Guatemala
La culture indigène au Guatemala
Des danses et des fêtes populaires bien vivantes
Le Guatemala compte une variété de danses costumées qui commémorent et narrent l'histoire du pays, ses légendes, mais aussi la pénétration des envahisseurs espagnols. C'est le cas, par exemple du théâtre dansé Rabinal Achí, inscrit en 2008 au Patrimoine mondial immatériel de l'humanité par l'Unesco. Cette tradition remonterait au XVe siècle, avant la pénétration espagnole. Elle mêle les mythes de l'origine du peuple maya q'eqchi et les relations politico-sociales du village de Rabinal (département de Baja Verapaz), exprimés à travers la danse, le théâtre, la musique et les masques.
Il existe, dans le pays, plusieurs groupes folkloriques, notamment Siguán Tinimit à Xela, qui contribuent à diffuser ce patrimoine, qui parfois semble appartenir davantage au passé qu'au présent, les danses traditionnelles et la marimba paraissant céder sans cesse davantage face aux musiques mondialisées comme le reggaeton, la pop ou les musiques mexicaines. Ceux qui ont voyagé au Guatémala le savent d'expérience, pour avoir réalisé des trajets dans les canasteras (« chicken buses », dirait le Lonely Planet), ces bus chamarrés, plaisants de l'extérieur, détestables quand on y voyage.
Danses et traditions guatémaltèques
Autre fête typique du Guatémala : le festival des cerfs-volants géants de Sumpango et de Santiago Sacatepéquez (tous deux dans le département de Sacatepéquez), à l'occasion du Jour des morts (1er novembre) et le jour suivant. Cette coutume avait initialement pour but de chasser les esprits malins.
Le costume traditionnel maya, héritage d'une histoire cruelle
En visitant le musée du costume traditionnel Ixkik, à Quetzaltenango, on nous explique que la cosmogonie et les symboles mayas sont inscrits, plus ou moins stylisés, sur les huipiles et autres pièces de la vêture traditionnelle.
D'après l'historien guatémaltèque Severo Martínez dans son classique La Patria del Criollo, les costumes traditionnels indigènes remontent à l'appropriation féodale par les envahisseurs espagnols des terres correspondant à l'actuel territoire guatémaltèque. Pour la culture des terres qu'ils s'approprièrent – et dont leurs héritiers, actuels oligarques, sont dans certains cas encore propriétaires –, ils eurent besoin d'une main d'œuvre servile et de distinguer chacun la sienne de celle de son seigneurial voisin. C'est ainsi que furent imposés les costumes, qui déterminaient l'appartenance à un seigneur féodal, c'est-à-dire une sorte d'esclavage. Comme souvent, le stigmate s'est retourné en élément identitaire et beaucoup en ignorent l'origine.
Passage obligé de tout voyage au Guatémala, la visite des marchés des hautes terres, depuis la Antigua Guatemala jusqu'à Xela, en passant par Chichicastenango offre une vue représentative de ces vêtements chamarrés portés par les femmes indigènes du Guatémala.
Un Guatemala a deux visages
Rares sont les zones et populations échappant totalement à une influence nord-américaine, libérale capitaliste, laquelle corrode peu à peu la société et les identités : c'est l'effet de la globalisation, des migrations, de la télévision, etc. Mais, dans les meilleurs cas, dans les zones à majorité indigène, la permanence de traits culturels issus du monde préhispanique assure une forme de résistance à l'œuvre de déculturation. Cette lutte identitaire et cette domination historique des Blancs, qui sont les deux visages principaux du Guatémala, sont inscrits dans le territoire, dans la culture, sont visibles. D'un côté, l'héritage préhispanique et la rencontre avec les Espagnols, missionnaires catholiques ou brutes féodales, a produit une culture populaire indigène qui a résisté, même en mutant, en dépit des adversités rencontrées à travers les siècles. De l'autre, un héritage colonial dont l'architecture n'est que la partie visible – et admirable – de la domination de classe qui, depuis la colonie, se poursuit, celle d'une oligarchie agro-exportatrice (et désormais aussi industrielle) antidémocratique et raciste.
Cet héritage architectural, ce sont notamment diverses cathédrales : celle de Salcajá, par exemple, première fondée en Amérique centrale en 1524, ou encore la baroque basilique d'Esquipulas (1758), la plus vaste d'Amérique centrale, célèbre pour son Christ noir et lieu de convergence annuel d'un pèlerinage nombreux autour du 15 janvier (à l'occasion de la fête du Seigneur d'Esquipulas). C'est aussi, bien sûr, l'urbanisme colonial, dont la Antigua Guatemala est un des plus prestigieux témoignages de tout le continent. C'est aussi, accessoirement, le seul des trois sites guatémaltèques inscrits au Patrimoine mondial de l'humanité à être postérieur à la conquête espagnole.
La capitale du Guatemala
Quid des ladinos ?
La double identité du Guatémala, posée schématiquement, oppose une élite blanche minoritaire mais détentrice des pouvoirs, au peuple maya. Or, les Ladinos, n'appartenant ni à l'une ni à l'autre catégorie de la population, sont eux aussi nombreux, et même majoritaires. Généralement tout à fait acculturés aux valeurs occidentales, il n'est pas rare de les entendre exprimer un dédain pour les Indigènes. Représentant une majorité démographique, il est difficile de leur attribuer cependant des caractéristiques identitaires aussi marquées et enracinées. Du reste, c'est possiblement là un des problèmes du pays, constitué artificiellement et sur décision d'une élite blanche, comme Etat-nation, modèle d'organisation socio-politique importé d'Europe dans un monde où ces structures n'existaient pas. Un phénomène que, du reste, l'Europe a connu au XIXe siècle avec la formation mythologique des nations.
Et pourtant, un artiste comme Efraín Recinos ou un auteur comme le Nobel de Littérature Miguel Ángel Asturias, parmi bien d'autres moins connus, ont construit une œuvre singulière et qui contribue à une culture nationale, non moins sûrement que la permanence de pratiques identitaires fortes parmi les communautés indigènes. Le Musée des Beaux-Arts de la capitale, hélas ! trop souvent boudée par ceux qui voyagent au Guatémala, trop effrayés de sa réputation outrée, atteste de cette progressive autonomisation d'un art national, en tension avec l'influence de l'art moderne européen. Certaines œuvres apparaissent comme de pâles copies des avant-gardes parisiennes ; d'autres, en revanche, indiquent à la fois l'assimilation et le dépassement de l'influence occidentale... ou bien la permanence d'un art figuratif, parfois indigéniste, qui relèvent d'une culture authentiquement guatémaltèque, plurielle, forcément.
Y aller ?
Terres des Andes propose deux voyages au Guatemala. L'un calé sur les fêtes locales religieuses, l'autre à la rencontres des communautés indigènes.
Mikaël Faujour, journaliste - Voyageurs du Net
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